Cher Personne,
Mourir n'est pas la pas la pire des choses qui puissent arriver à un homme. Tu vois, je suis mort depuis trois jours et depuis trois jours j'ai enfin trouvé la paix. Tu m'as souvent dit que ma vie ne tenait qu'à un fil. Désormais, c'est la tienne qui ne tient qu'à un fil. Et, ils sont nombreux ceux qui veulent te le trancher, ce fil. Mais, tu aimes le risque. C'est ta façon de te sentir vivant. Et, c'est ça la différence entre nous.
Moi, quand je voyais venir une sale affaire, j'essayais de l'éviter. Pas toi. Si tu n'as pas une salle affaire à te mettre sous la dent, tu t'en aventures. Et, après l'avoir liquidé, tu en abandonnes le mérite à un autre. Comme ça tu peux continuer à être toi-même, c'est-à-dire, Personne.
C'est astucieux !
Mais, cette fois tu as joué gros et cela en fait déjà quelques-uns qui savent que tu es quelqu'un. Tu finiras donc par te faire un nom toi aussi. Alors là, tu auras encore moins en moins de temps pour jouer. Et, ce sera de plus en plus dur. Et, un jour tu rencontreras un homme qui ce sera mis dans la tête de te faire rentrer dans l'histoire.
A ce stade, pour redevenir Personne, il n'y a qu'un moyen : mourir. Dorénavant, tu devras chausser mes éprons. Et, ce ne sera pas toujours drôle. Essaie pourtant de retrouver un peu de ces rêves qui nous habitaient nous autres de l'ancienne génération. Même si tu t'en moques avec ta fantaisie habituelle, nous t'en serons reconnaissant. Au fond, on était des sentimentaux.
En ces temps, l'Ouest était désert, immense, sans frontières. On croyait tout résoudre face à face d'un coup de révolver. On y rencontrait jamais deux fois la même personne. Et puis, tu es arrivé. Il est devenu petit, grouillant, encombré de gens qui ne peuvent plus s'éviter.
Et, si tu peux encore te promener en attrapant des mouches, c'est parce qu'il y a eu des hommes comme moi, des hommes qui finissent dans les livres d'histoire pour inspirer ceux qui ont besoin de croire en quelque chose, comme tu dis.
Dépêche-toi de t'amuser, parce que ça ne durera plus bien longtemps. Le pays s'est développé, il a changé. Je ne le reconnais plus. Je lui sens déjà étranger.
Le pire c'est que même la violence a changé. Elle s'est organisée et un coup de révolver n'en suffit plus. Mais, tu le sais déjà. Car c'est ton siècle, ce n'est plus le mien.
A propos, j'ai trouvé la morale de la fable que ton grand-père racontait, celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud, et puis le coyote a sorti et croqué. C'est la morale des temps nouveaux. Ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur. Et, ceux qui t'en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur. Mais, surtout ceci : quand tu es dans la merde, tais-toi !
C'est pour ça qu'un type comme moi doit disparaitre. Ton idée d'un duel truqué, était bien la marque de ces temps nouveaux. C'était le moyen le plus élégant de me faire quitter l'Ouest. D'ailleurs, je suis fatigué. Car il n'est pas vrai que l'Ouest ait produise des sages, il ne produise que des vieillards. Il est vrai aussi qu'on peut aussi être comme toi, jeune en nombre d'années et vieux en nombre d'heures.
Oui, je débite des phrases pompeuses, mais c'est ta faute. Comment parler autrement quand on est devenu un monument historique. Je te souhaite de rencontrer un de ces êtres que l'on ne rencontre jamais ou presque jamais. Ainsi, vous pourrez en faire un bout de chemin ensemble. Pour moi, il est difficile que le miracle se reproduise. La distance rend l'amitié plus cher et l'absence la rend plus douce. Mais depuis trois jours que je ne t'aie pas vu, tu commences à me manquer.
Bon, à présent, je dois te quitter. Et bien que tu sois le roi des fumistes et le prince des emmerdeurs, merci pour tout.
Ah, j'oubliais. Quand tu vas chez le barbier assure toi que sous son tablier il y ait toujours un homme du métier.
Transcription de Weiner Marthone
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