vendredi 13 octobre 2023

1907 : Dr C. PEARSON au maire Sténio Vincent....

Nous reproduisons ici textuellement les suggestions du Dr C. PEARSON à Sténio Vincent, maire de Port-au-Prince..

" Il semble qu'il y ait une force qui fait ricocher les habitudes professionnelles de façon si intense sur le tempérament qu'elles finissent par en former comme le fond. Ainsi le médecin pourra difficilement se défendre en toute occasion d'un certain amour pour la preuve et de l'expérimentation. C'est sa hantise perpétuelle, c'est ce qui le critérionise si j'ose dire, et cet amour le traque tellement qu'il fait de lui en définitive un véritable maniaque de l'observation.

"Monomanie ! raillera le sarcasme outrecuidant de quelques-uns. Mais oui, monomanie si l'on veut. D'ailleurs même avec ça, le médecin ne serait pas encore, parmi l'humanité, le monstre étrange que chacun voudrait curieusement palper.

Tous les hommes sont fous et pour ne point en voir il faut fermer sa porte et briser son miroir.

"Et ceci est à propos d'une petite observation que j'ai faite et que je vais dire : "La louange est une avance à la résistance ou à la paresse." On l'a dit, on l'a écrit. Cependant il parait que ce n'est pas toujours vrai que l'adage ne pousse pas par exemple jusqu'à Mr notre maire de Commune.

"On a toujours eu pour lui un engouement excessif, on l'a chanté, que dis-je ? on l'a chansonné, on l'a divinisé et je ne sais vraiment si ce n'est vingt, cent fois à la minute que je me suis laissé tambouriner sur le tympan Mr le Magistrat par ici, Mr le Magistrat par là. Oui, mais, disais-je, dans tout ça  -un peu sceptique, je l'avoue - attendons la fin. Mr le maire ne peut pas échapper à l'adage car après tout homo est.... Il sera bien obligé, grisé par les vapeurs de la louange, de piquer une tête du haut de la tour de ses rêves de patriote, au grand ébahissement de ses apôtres stupéfaits, en donnant ainsi le coup de grâce à leur chaude ferveur. Eh bien, il faut le dire, Mr le maire n'a pas le nez très sensible aux odeurs de l'encens; il a su glisser à côté de l'adage. Je reste donc quitte pour les mauvaises présomptions que j'avais conçues sur son compte, ce pourquoi il faut que je lui emprunte un des cabrouets de la Commune pour le lui renvoyer chargé... d'excuses.  

"Mr Vincent ne parait pas devoir se démentir. Au contraire, la louange parait avoir sur lui les effets de l'aiguillon et alors, comme un coursier nerveux sur les flancs duquel on presse des deux, il fait les foulées doubles.

"Hier, c'était le " Bel-air-Golgotha" qu'il herculéennisait et qui maintenant n'horripile point nos chevaux de trait les plus fainéants; c'était "Peu de chose" où il a fait plus que beaucoup; c'était le quartier du "Poste-Marchand," naguère véritable escalier de pierre, Babel-miniature dont il a annihilé les gradins détestables; c'était le kiosque de la place du Panthéon dont la gentillesse et l'élégance ne sont plus à dire. Aujourd'hui c'est la rue de l'Enterrement qu'il embellit, comme si Mr. Vincent avait à coeur de laisser à ceux qui y passent pour la dernière fois un vague souvenir des coquetteries d'ici-bas. Puis il poursuit sans trêve; il met un frein à la voracité de la "Rigole Desruisseaux", la grosse gourmande, qui grignote à belles dents la Rue du Port, il a posé les fondements du kiosque de la place Sainte Anne. Demain ce sera peut-être autre chose...

"Mais à côté de ces kiosques, je voudrais fort le voir élever sur une des places de son esprit la statue d'Hygie. Certes, il doit avoir en tête ce projet d'érection à en juger par le soin jaloux qu'il commence à mettre à l'entretien de nos rues. Le balayage en est régulier et l'Hygiène ne peut qu'applaudir à l'apparition du grand appareil d'arrosage que nous avons vu surgir ces jours derniers comme une bête curieuse vomissant a retro.

"Mr Vincent a sans doute compris qu'au point de vue hygiénique la poussière est détestable pour les voies respiratoires et que pour l'empêcher de bouger il faut la river à nos rues.

"Tout cela est fort bien mais néanmoins Mr le maire voudra bien me permettre quelques petites recommandations que j'estime importantes.

"On ne saurait trop plaider la cause de la canalisation efficace dans un grand centre comme Port-au-Prince où les immondices liquides séjournent malheureusement un peu trop et je ne saurais mieux en faire ressortir l'importance qu'en citant Mr Guiraud, de Toulouse: " Il n'y a, dit-il, peut être pas de faits mieux démontrés en hygiène que l'influence d'une bonne canalisation pour l'évacuation des immondices liquides sur la salubrité d'une ville.

" Dans toutes les villes où cette canalisation a été établie dans des conditions rationnelles, on a vu la mortalité générale s'abaisser, les maladies infectieuses diminuer. Les statistiques sanitaires sont unanimes sur ce point. C'est, avec l'amenée d'une eau potable pure la condition qui parait agir avec le plus de puissance sur la santé publique."

"Je confesse que par les moments de crise où nous nous tardons actuellement, présenter à Mr le maire un plan de canalisation souterraine rappelant le réseau des égouts de Paris, ce serait trop lui demander. Laissons donc la chose flotter dans notre cerveau à l'état de rêve à fixer quand la situation sera rose et bornons-nous à un simple projet de canalisation à ciel ouvert pouvant en réalité répondre aux premières exigences de l'hygiène. Je voudrais voir toutes nos rigoles positivement creusées et exactement reliées les transversales aux longitudinales. Je voudrais, au surplus, voir les premières se déverser véritablement en affluent dans les secondes.

"On comprend que pour obtenir ce dernier résultat il faut qu'il y ait une pente assez sensible pour permettre l'action de la pesanteur sur la masse liquide. Qu'on y veille scrupuleusement. Et pour prévenir toute infiltration, je propose d'enduire de ciment le fond de toutes les rigoles.

"Quant aux immondices solides, elles comportent aussi leurs dangers et je voudrais voir apporter au système de leur éloignement une certaine modification. Il serait de bonne hygiène de placer dans chaque carrefour une vaste boite destinée à recevoir les ordures ménagères. Défense formelle serait faite de disséminer ces ordures sur la voie publique et les tombereaux de la Commune se chargeraient tous les matins du contenu de ces boites pour l'emporter à destination. Un atelier haitien pourrait bien les fabriquer et tout le monde y gagnerait, depuis l'ouvrier, l'homme au tombereau dont la tâche serait allégée jusqu'à l'Hygiène qui traduirait sa reconnaissance en montrant la baisse du taux de la mortalité générale.

"Je ne doute point que Mr le maire prenne ces avis en sérieuse considération car il ne faudrait pas le croire seulement un esthète. S'il a laissé mesurer le degré de son énergie déployée pour embellir la ville, il ne serait pas juste de dire qu'il n'a pas su concilier l'amour du fond à celui de la forme.

"Et je sais que Mr. Vincent n'a point l'Hygiène en grippe, qu'à ce sujet il professe le perfectionnisme le plus avéré et que d'ailleurs, point égoïste, esprit large, il ne s'impatienterait pas de voir s'en aller tout le monde par des rues splendides telles qu'il nous en promet, avec, comme le sien, un torse où respirent la Force et la Santé, un torse de jeune dieu."

Dr. C. PEARSON

Erika Zimane pour eMagazine


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