Ma rue va d'Ouest à Est. Du soleil couchant au soleil levant, si vous préférez cette allusion poétique. Le côté Sud de ma rue, très étroite, je vous préviens, elle est en sens unique. Les voitures s'y croisent pas, mais les piétons, certainement.
Son côté sud est borné par un trottoir. S'y piétinent tant de gens, des plus humbles aux plus huppés, pressés ou nonchalants.
Toute la journée, le trottoir reçoit le soleil de plein fouet. Les gens sont cependant protégés par quelques ombres de manguiers, d'arbres à pin ou parfois d'un chiche et maigrichon amandier.
Il y a aussi trois oasis d'ombre sur le trottoir qui longe le côté sud de ma rue.
L'un au coin du Champ de Mars, sur lequel s'agglutine les marchands ambulants, et ce depuis de longues années. L'autre en face à une école bruissante du capitage de centaines de garçons et de filles qui se répandent au dehors aux heures de récréation, parce que la cour de l'école a été hélas trop étroite pour les contenir tous.
Sous ce manguier, mais est-ce plutôt un arbre à pins, à l'heure de la fin des cours, quelques marchands ambulants proposent aux enfants les douceurs traditionnelles, bonbon sirop, menthes, chicklets, pain patates...
Le va et vient se déroule, hélas, assez loin de mon balcon et il me prive de ce plaisir unique de vivre de haut, les joies de la récréation, avec ces centaines de garçons et de filles, chastement mêlés durant dix minutes, savourant la pause après l'heure de cours.
Et vous savez comment les heures de cours sont ennuyeuses dans nos écoles. Non, hélas mon balcon est trop loin et le bout de trottoir qui passe devant ma porte est trop ensoleillé pour y attirer les marchands ambulants.
A mes heures de solitudes, penché sur la balustrade, j'essaie parfois de distinguer au loin, ce mouvement merveilleux, palpitant, cette agitation écolière autour d'une barque de bonbons.
Et puis, un jour de septembre de l'année dernière, cela vous rappelle quelque chose, septembre de l'année dernière ?
Le ciel a entendu ma prière. Mais est-ce le ciel ou est-ce l'enfer ?
Quoi qu'il en soit quelqu'un là-haut, là-bas a voulu s'occuper de mon bout ensoleillé de trottoir. Et un triste matin de septembre, j'ai eu la surprise de découvrir sur mon bout de trottoir, en face de ma maison, juste en face de la barrière qui forme une sorte de protection entre le monde extérieur et moi, quelqu'un, un pauvre type avec sa barque. Une petite chaise paille basse. Un layer pour le protéger du soleil brulant et ce sourire énigmatique qui ne l'a plus quitté de six heures du matin à parfois huit heures du soir.
Tous les jours, depuis ce matin triste de septembre où il s'est installé sur mon bout de trottoir ensoleillé. Ce marchand de surettes, car c'en est un, me tient ainsi compagnie depuis lors, fidèlement. C'est le cas de le dire.
Hélas, il a choisi la mauvaise place. Le long de ma rue. Une place où à midi le soleil tape dur. Où aucun pied Sablier ne vient adoucir les ardeurs de son commerce.
C'était donc un matin triste de septembre. Triste, parce que des yeux allucidés avaient crus dans les dédales, la ronde des ruelles populaires la ronde cynistre des loups.
Ah, vous vous souvenez à présent. Car si je vous dis que le soleil dans la forêt est comme un ventre qui se donne dans un lit, vous me croirez, vous approuverez tous mes désirs.
Si je vous dis que le crystal de jour de pluie résonne toujours dans la paresse de l'amour. Vous me croirez encore plus, vous me comprenez.
Mais, si je vous dis qu'un matin triste de septembre, un marchand de surettes s'est installé en plein soleil sur le côté sud de ma rue. Vous froncerez les sourcils et vous vous demanderai en écoutant les chansons, mais où veut-il en venir ?
Nulle part. Pour moi la poésie comme la radio doit avoir pour but la vérité pratique. Comme le poète l'a dit. Mais, quel but donner à la radio ?
Vous parler d'un marchand de surettes avec sa barque, son layer, sa petite chaise de paille. Petite chaise basse au bas du trottoir ensoleillé.
Oui, c'est ainsi ce triste matin de septembre, lorsque les loups montraient leurs crocs, dans les cours et les ruelles surpeuplées des portails.
Ce jour-là ce fut un grand bruissement dans le quartier, dans mon quartier. D'une fenêtre à l'autre on interpellait les voisins.
Avez-vous vu le marchand de surettes ?
Toute la rue l'avait remarqué, mais pourquoi me direz-vous un tel intérêt pour un humble et anonyme marchand de surettes, cherchant sa vie sur un trottoir balayé de soleil ?
S'installer sous le soleil aveuglant d'une rue à sens unique. Pourquoi, mais justement à cause du soleil. Les passants et les riverains du quartier avaient en effet remarqué le côté incongru de cette installation.
Le pauvre marchand devant sa barque bourré à craquer. Car il était bien achalandé. Là, à peine protégé par quelques rares feuilles d'amandier. Tandis qu'à quelques mètres en aval, plus loin de lui, il y avait un majestieux Bois d'Homme. Tellement touffu et ombrageant qu'on aurait cru souffler une brise. Mais non.
Notre marchand de surettes dédaignait, méprisant l'abri protecteur du Bois d'Homme quelques mètres plus bas, pour s'accrocher têtu à ces quelques pouces carrés de trottoirs brulé de soleil.
On aurait dit, si c'était un blanc, il aurait apprécié le soleil. En général les blancs apprécient le soleil en Haiti. Mais un Haitien qui en a marre du soleil, qu'avait-il donc à faire sur ce bout de trottoir ?
De six heures du matin à huit heures du soir, qu'avait-il à faire ?
En fin de compte, ce marchand de surettes était placé là pour surveiller ce qui se passait chez Jean Léopold Dominique. Il possédait une radio pour appeler et donner des détails sur tout ce qu'il a vu.
Auteur: Jean Léopold Dominique
Transcription de Weiner Marthone
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