LORSQU'ON S'EN PREND A LA LIBERTE D'EXPRESSION D'UN INDIVIDU OU D'UN GROUPE DE GENS, C'EST UN ATTENTAT A LA LIBERTE D'EXPRESSION DE TOUT LE PEUPLE QU'ON S'EN PRENNE. L'ARBITRAIRE, SOUS TOUTES SES FORMES, NE DOIT EXISTER DANS UNE HAITI VRAIMENT DEMOCRATIQUE, INDEPENDANTE ET LIBRE.
mardi 10 décembre 2019
L'Etudiant Noir: Un article sur Jacques Roumain
Jacques Roumain-Écrivain Haitien...
L'humiliation de l'occupation américaine en 1905 a endurci la jeune expérience Haïtienne. Broyé par la souffrance, le peuple Haïtien a compris qu'il lui restait une nouvelle liberté à conquérir: celle de l'esprit. C'est pourquoi la jeunesse Haïtienne a entrepris de fonder une esthétique nouvelle. À l'ancienne tradition littéraire dont la formule était l'assimilation à outrance, les jeunes écrivains ont opposé le principe d'un retour sur soi, d'une conscience de race.
Rejetant les procédés stériles d'une imitation de l'Europe, ils se sont tournés vers l'âme du peuple Haïtien où ils ont trouvé leur propre fonds.
Jacques Roumain est l'un des promoteurs de ce courageux mouvement.
Qui veut connaitre l'âme Haïtienne après 1915, n'a qu'à lire son recueil de quatre nouvelles: "La proie et l'ombre". Il s'en échappe un pessimisme amer: souffrances d'une jeunesse ardente, en proie a de cruelles incompréhensions, atmosphère lourde et irrespirable de désillusions, de rancœur et de haine. L'écrivain contemple avec dégoût les théories de bourgeois au sourire fardé, aux gestes mécanisés par ce qu'ils appellent les bonnes manières, la société port-au-princienne "corrompue", hypocrite, bassement bourgeoise ", les mulâtresses prétentieuses comme cette dame Ballin qui, parce qu'elle a épousé un Allemand parle de "Nous autres dames Allemandes" et croit avoir vaincu l'atavisme" parce qu'elle a le visage aigu et qu'elle pense que ses traits...
... du paysan haitien... Amour profond de la race, amour physique des corps noirs ou bruns qu'il chante sur le mode lyrique quand il parle de "cette chair brune et sapotille, lisse, fondante, ces yeux immenses et les cheveux "comme un troupeau de chèvres suspendues au flanc de la montagne de Galand" et des paupières merveilleuses, couvertes d'une cendre mauve, la cendre des nuits d'amour."
Amour aussi de l'âme de la race qu'il croit saisir dans le battement du tambour, plainte qui monte dans la nuit "voix de notre race" ou erre "toute la douleur de l'esclave, dans la plantation, sous le fouet."
Âme de la race que Roumain saisit encore dans la musique la plus humble, tel ce Blue Danube blues: " C'était une transposition de la valse fameuse sur un rythme noir, émouvant et ridicule. Le Danube coulait entre des rives louisianaises; un saxophone hululait comme le vent au-dessous des sombres bayous, et dans les plantations de coton, tournoyaient au lieu de crinolines viennoises, les caracos des négresses mélancoliquement."
Et c'est avec une tendresse toute filiale qu'il se penchera sur l'âme Haïtienne pour en saisir les nuances les plus subtiles dans "La Montagne Ensorcellé": âme Haïtienne qui n'est pas autre chose, s'il faut en croire Roumain, que l'âme Africaine, elle-même, avec son animisme, son paganisme essentiel qui déforme le superficiel Christianisme, sa "négritude" fondamentale qui fait éclater le vernis de civilisation sous la pression de la douleur; tel le cas de cette mère chrétienne pourtant qui, à la mort de son fils, tourne le dos au prêtre savane, rompt le lamentable concert des "Pie Jesu, Domine...", pour invoquer le sorcier ancestral.
"Feuilles, ho, feuilles, vini sauvé moin dans misè mwen yé.
Pitit moin malad, mwen alé caye hougan (le sorcier).
Pitit moin malad, mwen alé caye hougan,
Si ou bon hougan, vini sauver dans misè moin yé."
Oh feuilles, feuilles venez me sauver de ma misère. Mon enfant est malade, j'ai été chez le sorcier, O si tu es un bon sorcier, sauve-moi de la misère où je suis.
Tel aussi cet amour des contes, des énigmes, qui fait que tout le village frémit de joie quand "Tonton Desilus" commence:
Cric, crac.
Ainsi donc, Roumain dégouté de la société noire bourgeoise, décalquée de la bourgeoisie blanche, se retrempe dans l'âme même de sa race: refivifié par ce bain, il peut alors esquisser une oeuvre constructive; il comprend le néant d'une vie oisive, bonne tout au plus pour des fantôches, pour des ratés doués de l'insensible patience de l'épave; il comprend le besoin de s'atteler à une tâche noble;
"Ce qui manque à l'intelligence Haïtienne, c'est d'être pliée à une discipline, c'est à dire, tendue vers un but, obstinément."
Il donne une leçon de courage aux désespérés qui se sentent "pleins de tristesse et délaissés inutiles comme ces caises défoncées, ces débris de poteries éparpillés sur le sol, autour d'eux."
Ainsi, Jacques Roumain, régénéré par la conscience raciale - conscience raciale, n'est-elle pas, en effet, le titre d'un de ses essais en préparation ? - a senti le besoin de l'action, et si, au mépris de toute justice, il végète maintenant dans les prisons de Sténio Vincent, c'est pour avoir défendu courageusement sa double foi: le Marxisme et le sentiment de la dignité raciale, ces deux épouvantails de l'ignoble bourgeoisie de couleur.
A. MAUGEE.
Source: L'Étudiant Noir
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