Mémoire d'outre-tombe de l'écrivain français Jean-Jacques Rousseau.
Il n'est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps
du peuple détourne son attention des vues générales pour les donner aux objets
particuliers. Rien n'est plus dangereux que l'influence des intérêts privés dans
les affaires publiques, et l'abus des lois par le gouvernement est un mal moindre
que la corruption du législateur, suite infaillible des vues particulières.
Alors, l'Etat étant altéré dans sa substance, toute réforme devient impossible.
Un peuple qui n'abuserait jamais du gouvernement n'abuserait pas non plus de
l'indépendance; un peuple qui gouvernerait toujours bien n'aurait pas besoin
d'être gouverné.
L'homme est né libre et partout il est dans les fers.
Il ne faut point multiplier en vain les ressorts, ni faire avec vingt mille
hommes ce que cent hommes choisis peuvent encore mieux.
Avec un levier suffisant, d'un doigt l'on peut ébranler le monde ; mais pour le
soutenir il faut les épaules d'Hercule.
On n'a pas considéré qu'en s'exposant ainsi aux risques de l'alternative, on met
presque toutes les chances contre soi.
Tout concourt à priver de justice et de raison un homme élevé pour commander
aux autres.
Pour voir ce qu'est ce gouvernement en lui-même, il faut le considérer sous
des princes bornés ou méchants ; car ils arriveront tels au trône, ou le trône
les rendra tels.
Sitôt que le service public cesse d'être la principale affaire des citoyens,
et qu'ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l'État est
déjà près de sa ruine.
À force de paresse et d'argent, ils ont enfin des soldats pour asservir
la patrie, et des représentants pour la vendre.
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