Le difficile n'est pas de monter, mais en montant de rester soi. (Michelet)
Un jour, le Nègre s'empare de la cravate du Blanc, se saisit d'un chapeau melon, s'en affubla, et partit en riant...
Ce n'était qu'un jeu, mais le Nègre se laissa prendre au jeu: il s'habitua si bien à la cravate et au chapeau melon qu'il finit par croire qu'il les avait toujours portés; il se moqua de ceux qui n'en portaient point et renia son père qui a nom Reprit de Brousse...C'est un peu l'histoire du Nègre d'avant-guerre qui n'est que le Nègre d'avant-raison, il s'est mis à l'école des Blancs; il a voulu devenir "Autre"; il a voulu être "assimilé".
Je dirais volontiers que c'est folie, si je me souvenais que le fou est toujours, en un certain sens, "l'homme qui a foi en soi ". Mais le Nègre qui tue en lui le Nègre, n'a point "foi en soi", et c'est par là qu'il se sauve de la folie.
Si l'assimilation n'est pas folle, c'est à coup sûr, sottise, car vouloir être assimilé, c'est oublier que nul ne peut changer de faune; c'est méconnaitre "altérité" qui est loi de Nature.
Cela est si vrai que le Peuple, fils ainé de Nature, nous en avertit, tous les jours :
Un décret dit aux Nêgres:
"Vous êtes semblables aux Blancs; vous êtes assimilés ".
Le Peuple, plus sage que les décrêts, parce que qu'il suit Nature, nous crie:
"Hors d'ici; vous êtes différents de nous; vous n'êtes que des métèques et des nègres ", et il se moque du "moricaud à melon", houspille le "mal blanchi", matraque le "negro".
J'avoue que c'est justice, car malheur à celui qui a besoin de l'argument du bâton, pour se convaincre qu'il ne peut être que soi.
Il suffit d'ailleurs de réfléchir sur la notion d'assimilation pour s'apercevoir que c'est dangereuse affaire, pour le colonisateur comme pour le colonisé.
Le colonisateur qui a "assimilé", se dégoute vite de son oeuvre: les copies n'étant que copies, les modèles ont pour elles le mépris que l'on a pour le singe et pour le perroquet, car si l'homme a la peur de "l'autre", il a aussi le dégoût du semblable.
Il en est de même pour le colonisé: une fois semblable à son formateur, il ne comprend plus le mépris de celui-ci et il le hait: c'est ainsi que j'ai ouï dire que certains disciples haïssent le maitre, parce que le maitre veut toujours rester le maitre, quand le disciple a cessé d'être le disciple.
Il est donc vrai que l'assimilation, née de la peur et de la timidité, finit toujours dans le mépris et dans la haine, et qu'elle porte en elle des germes de lutte; lutte du même contre le même, c'est-à-dire la pire des luttes.
C'est pour cela que la jeunesse Noire tourne le dos à la tribu des Vieux.
La tribu des Vieux dit: "assimilation", nous repondons: résurrection !
Que veut la jeunesse Noire ?
Vivre.
Mais pour vivre vraiment, il faut rester soi. L'acteur est l'homme qui ne vit pas vraiment:il fait vivre une multitude d'hommes - affaire de rôles - mais, il ne se fait pas vivre.
La jeunesse Noire ne veut jouer aucun rôle; elle veut être soi.
L'histoire des nègres est un drame en trois épisodes, et nous touchons au troisième épisode.
Le Nègres furent d'abord asservis: "des idiots et des brutes", disait-on. Puis on tourna vers eux un regard plus indulgent; on s'est dit; "ils valent mieux que leur réputation", et on a essayé de les former; on les a "assimilés": ils furent à l'école des maitres. "De grands enfants", disait-on, car seul l'enfant est perpétuellement à l'école des maitres.
Les jeunes nègres d'aujourd'hui ne veulent ni asservissement, ni assimilation, ils veulent émancipation.
"Des hommes ", dira-t-on, car seul l'homme marche sans précepteur sur les grands chemins de la pensée. Asservissement et assimilation se ressemblent: ce sont deux formes de passivité.
Pendant ces deux périodes, le Nègre a été également stérile.
Émancipation est, au contraire, action et création.
La jeunesse Noire veut agir et créer. Elle veut avoir ses poêtes, ses romanciers, qui lui diront à elle, ses malheurs à elle, et ses grandeurs à elle; elle veut contribuer à la vie universelle, à l'humanisation de l'humanité; et pour cela, encore une fois, il faut se conserver ou se retrouver: c'est le primat du soi.
Mais pour être soi, il faut lutter; d'abord contre les frères égarés qui ont peur d'être soi; c'est la fourbe sénile des assimilés;
Ensuite contre ceux qui veulent étendre leur moi; c'est la légion féroce des assimilateurs;
Enfin, pour être soi, il faut lutter contre soi; il faut détruire l'indifférence, extirper l'obscurantisme, couper le sentimentalisme à sa racine; et ce qu'il faut couper surtout, Meredith vous le dira:
Jeunesse Noire, il est un poil qui vous empêche d'agir; c'est l'Identique, et c'est vous qui le portez.
Tondez-vous au ras de peur que l'Identique n'échappe.
Rasez-vous:
C'est la première condition d'action et de création:
Chevelure longue, c'est affliction.
Aimé CÉSAIRE.
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