dimanche 31 mai 2020

Laferrière: L'exil vaut le voyage



"Tous les hommes sont condamnés avec sursis",
disait Victor Hugo. L'exil est une condamnation.
Mais, Laferrière en a fait une pique-nique. J'attends
ma copie, dédicacée, mon cher compatriote...

"Il s'agit de ce dernier livre que je viens de
publier: L'exil vaut le voyage. Si j'en parle

"naturellement, c'est parce que dans ce livre,
je parle de beaucoup de gens, de leur exil. Je parle
d'abord du mien, puisque je suis en exil d'une certaine
manière, depuis 1976. Donc, depuis près de 45 ans.
Mais, aussi, il y a d'autres qui sont en exil, et tous
n'ont pas connu le même exil.

"Pour ma part, arrivé à Montréal, en 1976 à 23 ans,
l'exil ne pouvait être ce que le dictateur pensait me
faire, une punition. J'en ai fait plutôt une récréation.
J'avais devant moi l'immense univers. Même si
j'étais un jeune ouvrier à cette époque là. Même si je
vivais dans des chambres crasseuses et lumineuses
du Centre Ville de Montréal et du Quartier Latin.

Même si je me nourrissais de pieds de poulets, même si
la vie semblait difficile, mais j'avais les livres...
j'avais le vin, j'avais quelque chose que je n'avais
pas à Port-au-Prince, qui est la solitude. Et c'est
ainsi qu'on forme un écrivain.

"Et cette joie de vivre, cette joie profonde de vivre
qui n'avait rien à voir avec le projet initial du
dictateur.

"Je voulais simplement dire que dans cette histoire,
je crois que la seule personne, je crois que je connaisse,
proche de moi, qui a été une exilée, c'était ma mère,
puisqu'elle est restée après le départ de mon père, puis,
vingt-ans plus tard, après le mien.

"L'exilé pour moi, c'est celui qui, souvent, reste.
Parce qu'il reste dans le même espace. Rien, semble t-il
n'a changé. Et pourtant, les absents sont très présents
dans la mémoire et créent des trous dans cette mémoire
difficile à combler.

"Passons, sur mon exil, et voyons ce voyage où j'ai
visité beaucoup de pays, les coins serrés dans les poches
crevées, comme dirait Rimbault, l'invité qui, grâce aux
vingt-six lettres de l'alphabet, m'ont permis d'écrire des
livres et de sortir de l'Usine...mais aussi, l'exil des
autres...l'exil de beaucoup d'autres...

"C'est celui de Hugo, par exemple, qui est revenu avec la
république. Un exil glorieux, d'un grand écrivain, qui en
a profité pour écrire Les Misérables, Les Châtiments,
enfin des œuvres éternelles..."

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Laferrière, dans sa générosité a inséré, dans son intégralité, la lettre de Toussaint Louverture à Napoléon Bonaparte.
Lettre fatale que nous jugeons bon, et dans l'intérêt général, d'en faire la transcription, pour désiller les yeux de nos compatriotes...

La lettre qui provoqua l'exil de Toussaint Louverture.

1802. Bonaparte envoie une expédition militaire pour rétablir l'esclavage à Saint Domingue, la plus riche colonie française. Le général Toussaint lui répond par une lettre qui lui vaudra son exil et sa mort dans le froid au Fort de Joux dans le Jura.

Bonaparte et Toussaint sont morts aujourd'hui, mais la lettre de l'ancien esclave est encore là, la voici:

Citoyen Consul,

Votre lettre m'a été transmise par le citoyen Leclerc, votre beau-frère, que vous avez nommé capitaine général de cette île, titre qui n'est point reconnu par la constitution de Saint-Domingue. Le même messager a rendu deux enfants innocents aux embrassements et à la tendresse de leur père. Mais, quelques chers que me soient mes fils, je ne veux point tenir l'obligation à mes ennemis et je les renvoient à leur geôlier.

Les forces destinées à faire respecter la souveraineté du peuple français ont aussi effectuées une descente et répandre partout le carnage et la dévastation. De quel droit veut-on exterminer, par le fer et par le feu, un peuple grossier, mais innocent ?

Nous avons osé former une constitution adaptée aux circonstances. Elle contient de bonnes choses, comme vous en convenez vous-mêmes, mais il s'y trouve aussi dites-vous des articles contraires à la souveraineté du peuple français. En quoi consiste donc, cette souveraineté ? Quelle est son étendu ?
Doit-elle être sans mesure, et sans limite ?

Saint-Domingue, cette colonie, qui est partie intégrante de la république française, aspire, dit-on, à l'indépendance. Pourquoi, non ?

Les Etats-Unis d'Amérique on fait comme nous, et avec l'assistance du gouvernement français, ils ont réussi à consolider leur liberté. Mais, répondez-vous, il y a des défauts dans votre constitution ! Je le sais.

Quelle constitution, et quelle institution humaine surtout en est exempt ?

Néanmoins, je suis persuadé que le système que vous avez adopté pour votre république, ne peut garantir d'une manière plus certaine, la liberté individuelle ou politique, la liberté de la presse, ni le droit de l'homme.

Le poste élevé que j'occupe, n'est pas de mon choix. Les circonstances impérieuses m'y ont placées contre mon gré. Je n'ai pas détruit la constitution que j'avais juré de maintenir. Je vis cette malheureuse île, en proie à la fureur des factieux. Ma réputation, ma couleur, me donnèrent quelqu'influence sur le peuple qui l'habite et je fus presque d'une voix unanime appelé à l'autorité.

J'ai étouffé la sédition, appaisé la revolte, rétabli la tranquillité et j'ai fait succéder le bon ordre à l'anarchie. Enfin, j'ai donné au peuple, la paix et une constitution.

Citoyen Consul, vos prétentions sont-elles fondées sur des titres plus légitimes ?

Si le peuple ne jouit pas ici de toute la liberté qu'on trouve sous d'autres gouvernements, il faut en chercher la cause dans sa manière de vivre, dans son ignorance, et dans la barbarie inséparable de l'esclavage.

Le gouvernement que j'ai établi, pouvait seul convenir à des malheureux à peine affranchis du joug oppresseur. Il laisse en plusieurs endroits, pris au despotisme, mais nous ne saurions disconvenir, la constitution de la France, cette partie la plus éclairée de l'Europe, est-elle tout-à-fait exempte de ces inconvénients ?

Si trente millions de français trouvent, comme je l'entends dire, leur bonheur et leur sécurité dans la révolution du 18 brumaire, on ne devrait pas m'envier l'amour et la confiance des pauvres noirs, mes compatriotes.

La postérite décidera si nous avons été obéis par affection, par apathie ou par crainte. Vous offrez la liberté aux noirs en disant que partout où vous avez été, vous l'avez donné à ceux qui n'en avaient pas. Je n'ai qu'une connaissance imparfaite des événements qui ont eus lieu récemment en Europe. Mais, les rapports qui me sont parvenus, ne s'accordent pas avec cette assertion...

La liberté dont on peut jouir en France, en Belgique, en Suisse, ou dans les république Baltaves, Ligurienne et Sisalpines, ne satisferait jamais le peuple de Saint-Domingue. Nous sommes loins d'ambitionner une pareille dépendance.

Vous me demandez si je désire de la considération, des honneurs, des richesses ? Oui, sans doute. Mais je ne veux point les tenir de vous. Ma considération dépend du respect de mes compatriotes, mes honneurs, de leur attachement, ma fortune, de leur fidélité.

Me parle t-on de mon aggrandissement personnel dans l'espoir de m'engager à trahir la cause que j'ai embrassé ? Vous devriez apprendre à juger les autres par vous-mêmes, citoyen Consul.

Si le monarch qui sait avoir des droits au throne sur lequel vous êtes assis, vous commanderait d'en descendre, que repondriez-vous ?

La puissance que je possède est tout aussi légitimement acquise que la vôtre, et la voix unanime du peuple de Saint-Domingue peut seule me forcer à l'abandonner. Elle n'est point cimentée par le sang. Les hommes cruels dont j'ai arrêté les persécutions ont reconnu ma clémence. Si j'ai éloigné de cette île, certains esprits turbulents qui cherchaient à entretenir le feu de la guerre civile, leur crime à d'abord été constaté devant un tribunal compétent et enfin avoué par eux-mêmes.

Est-il quelqu'un d'entr'eux qui puisse dire avoir été condamné sans avoir été entendu ? Cependant, ces mêmes hommes vont revenir encore une fois, ils vont déchainer de nouveau les assassins de Cuba pour nous dévorer ! Et, ils osent prétendre au nom de chrétiens.

Pourquoi vous-étonnez-vous de ce que j'ai protégé la religion et le culte du Dieu créateur de toute chose ?

Hélas, j'ai toujours honoré et glorifié cet Être plein de douceur, dont la parole sacrée n'a que depuis peu trouvé grâces auprès de vous. C'est dans son appui que j'ai cherché ma consolation au milieu des périls, et jamais je n'ai été trompé dans mes espérances.

Je suis, dites-vous, responsable devant lui et devant vous, des massacres qui se commettent dans cette île fortunée. J'y consens. Que notre sort dépende de sa justice, qu'il décide entre moi et mes ennemis, entre ceux qui ont violé ses préceptes et adjuré son saint nom, et l'homme qui n'a cessé de l'adorer.

Toussaint Louverture, février 1802.

Une transcription de Weiner Marthone, auteur de Voyage en Amérique.


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